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LES ROUGON-MACQUART.

lui et sa mère, tourner autour d’elle et causer à voix basse.

Le lendemain de la crise, le docteur Bodin s’était présenté. Mais Jeanne avait boudé, tournant la tête, refusant de se laisser examiner.

— Pas lui, maman, murmurait-elle, pas lui, je t’en prie.

Et comme il revenait le jour suivant, Hélène dut lui parler des répugnances de l’enfant. Aussi le vieux médecin n’entrait-il plus dans la chambre. Il montait tous les deux jours, demandait des nouvelles, causait parfois avec son confrère, le docteur Deberle, qui se montrait déférent pour son grand âge.

D’ailleurs, il ne fallait point chercher à tromper Jeanne. Ses sens avaient une finesse extraordinaire. L’abbé et M. Rambaud arrivaient chaque soir, s’asseyaient, passaient là une heure dans un silence navré. Un soir, comme le docteur s’en allait, Hélène fit signe à M. Rambaud de prendre sa place et de tenir la main de la petite pour qu’elle ne s’aperçût pas du départ de son bon ami. Mais, au bout de deux ou trois minutes, Jeanne endormie ouvrit les yeux, retira brusquement sa main. Et elle pleura, elle dit qu’on lui faisait des méchancetés.

— Tu ne m’aimes donc plus, tu ne veux donc plus de moi ? répétait le pauvre M. Rambaud, les larmes aux yeux.

Elle le regardait sans répondre, elle semblait ne plus même vouloir le reconnaître. Et le digne homme retournait dans son coin, le cœur gros. Il avait fini par entrer sans bruit et se glisser dans l’embrasure d’une fenêtre, où, à demi caché derrière un rideau, il restait la soirée, engourdi de chagrin, les regards fixés sur la malade. L’abbé aussi était là, avec sa