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LES ROUGON-MACQUART.

avec eux, autour d’eux, comme le seul air où ils pussent vivre. Et ils avaient l’excuse de leur loyauté, ils jouaient en toute conscience cette comédie de leur cœur, car ils ne se permettaient pas un serrement de main, ce qui donnait une volupté sans pareille au simple bonjour dont ils s’accueillaient.

Chaque soir, ces dames firent la partie de se rendre à l’église. Madame Deberle, enchantée, y goûtait un plaisir nouveau, qui la changeait un peu des soirées dansantes, des concerts, des premières représentations ; elle adorait les émotions neuves, on ne la rencontrait plus qu’avec des sœurs et des abbés. Le fond de religion qu’elle tenait du pensionnat remontait à sa tête de jeune femme écervelée, et se traduisait par de petites pratiques qui l’amusaient, comme si elle se fût souvenue des jeux de son enfance. Hélène, grandie en dehors de toute éducation dévote, se laissait aller au charme des exercices du mois de Marie, heureuse de la joie que Jeanne paraissait y prendre. On dînait plus tôt, on bousculait Rosalie pour ne pas arriver en retard et se trouver mal placé. Puis, on prenait Juliette en passant. Un jour, on avait emmené Lucien ; mais il s’était si mal conduit, que, maintenant, on le laissait à la maison. Et, en entrant dans l’église chaude, toute braisillante de cierges, c’était une sensation de mollesse et d’apaisement, qui peu à peu devenait nécessaire à Hélène. Lorsqu’elle avait eu des doutes dans la journée, qu’une anxiété vague l’avait saisie à la pensée d’Henri, l’église le soir l’endormait de nouveau. Les cantiques montaient, avec le débordement des passions divines. Les fleurs, fraîchement coupées, alourdissaient de leur parfum l’air étouffé sous la voûte. Elle respirait là toute la première ivresse du printemps, l’adoration de la femme haussée