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LES ROUGON-MACQUART.

la voix large de la foule roulait sur une gamme descendante, tandis que des notes suraiguës d’enfants piquaient çà et là le rythme traînard et balancé du cantique.

— Elles te disent de venir, tu vois bien ! reprit Jeanne triomphante.

— C’est inutile ; nous sommes parfaitement ici.

— Oh ! maman, allons les retrouver… Elles ont deux chaises.

— Non, descends, assieds-toi.

Pourtant, comme ces dames insistaient avec des sourires, sans se préoccuper le moins du monde du léger scandale qu’elles soulevaient, heureuses, au contraire, de voir les gens se tourner vers elles, Hélène dut céder. Elle poussa Jeanne, enchantée, elle tâcha de s’ouvrir un passage, les mains tremblantes d’une colère contenue. Ce n’était point une besogne facile. Les dévotes ne voulaient pas se déranger et la toisaient, furieuses, la bouche ouverte, sans s’arrêter de chanter. Elle travailla ainsi pendant cinq grandes minutes, au milieu de la tempête des voix, qui ronflaient plus fort. Quand elle ne pouvait passer, Jeanne regardait toutes ces bouches vides et noires, et elle se serrait contre sa mère. Enfin, elles atteignirent l’espace laissé libre devant le chœur, elles n’eurent plus que quelques pas à faire.

— Arrivez donc, murmura madame Deberle. L’abbé m’avait dit que vous viendriez, je vous ai gardé deux chaises.

Hélène remercia, en feuilletant tout de suite son livre de messe, pour couper court à la conversation. Mais Juliette gardait ses grâces mondaines ; elle était là, charmante et bavarde comme dans son salon, très à l’aise. Aussi se pencha-t-elle, continuant :