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UNE PAGE D’AMOUR.

qui était tombé sur Notre-Dame, d’autres rayons avaient succédé, frappant la ville. L’astre, à son déclin, faisait craquer les nuages. Alors, les quartiers s’étendirent, dans une bigarrure d’ombres et de lumières. Un moment, toute la rive gauche fut d’un gris de plomb, tandis que des lueurs rondes tigraient la rive droite, déroulée au bord du fleuve comme une gigantesque peau de bête. Puis, les formes changeaient et se déplaçaient, au gré du vent qui emportait les nuées. C’était, sur le ton doré des toits, des nappes noires voyageant toutes dans le même sens, avec le même glissement doux et silencieux. Il y en avait d’énormes, nageant de l’air majestueux d’un vaisseau amiral, entourées de plus petites qui gardaient des symétries d’escadre en ordre de bataille. Une ombre immense, allongée, ouvrant une gueule de reptile, barra un instant Paris, qu’elle semblait vouloir dévorer. Et, quand elle se fut perdue au fond de l’horizon, rapetissée à la taille d’un ver de terre, un rayon, dont les rais jaillissaient en pluie de la crevasse d’un nuage, tomba dans le trou vide qu’elle laissait. On en voyait la poussière d’or filer comme un sable fin, s’élargir en vaste cône, pleuvoir sans relâche sur le quartier des Champs-Élysées, qu’elle éclaboussait d’une clarté dansante. Longtemps, cette averse d’étincelles dura, avec son poudroiement continu de fusée.

Eh bien ! la passion était fatale, Hélène ne se défendait plus. Elle se sentait à bout de force contre son cœur. Henri pouvait la prendre, elle s’abandonnait. Alors, elle goûta un bonheur infini à ne plus lutter. Pourquoi donc se serait-elle refusée davantage ? N’avait-elle pas assez attendu ? Le souvenir de sa vie passée la gonflait de mépris et de violence.