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LES ROUGON-MACQUART.

paysanne, qui se tenaient embrassés, se serrant bien fort, de peur de tomber, et tournant tout seuls comme des sournois, la joue contre la joue.

— Je n’en puis plus, dit Hélène en venant s’adosser à la porte de la salle à manger.

Elle s’éventait, rouge d’avoir sauté elle-même. Sa poitrine se soulevait sous la grenadine transparente de son corsage. Et elle sentit encore sur ses épaules le souffle d’Henri, qui était toujours là, derrière elle. Alors, elle comprit qu’il allait parler ; mais elle n’avait plus la force d’échapper à son aveu. Il s’approcha, il dit très bas, dans sa chevelure :

— Je vous aime ! Oh ! je vous aime !

Ce fut comme une haleine embrasée qui la brûla de la tête aux pieds. Mon Dieu ! il avait parlé, elle ne pourrait plus feindre la paix si douce de l’ignorance. Elle cacha son visage empourpré derrière son éventail. Les enfants, dans l’emportement des derniers quadrilles, tapaient plus fort des talons. Des rires argentins sonnaient, des voix d’oiseaux laissaient échapper de légers cris de plaisir. Une fraîcheur montait de cette ronde d’innocents lâchés dans un galop de petits démons.

— Je vous aime ! Oh ! je vous aime ! répéta Henri.

Elle frissonna encore, elle voulait ne plus entendre. La tête perdue, elle se réfugia dans la salle à manger. Mais cette pièce était vide ; seul, M. Letellier dormait paisiblement sur une chaise. Henri l’avait suivie. Il osa lui prendre les poignets, au risque d’un scandale, avec un visage si bouleversé par la passion, qu’elle en tremblait. Il répétait toujours :

— Je vous aime… je vous aime…

— Laissez-moi, murmura-t-elle faiblement, laissez-moi, vous êtes fou…