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LES ROUGON-MACQUART.

d’oiseaux bizarres, les deux figurines de vieux Saxe prenaient la grâce et l’étrangeté d’un bibelot d’étagère.

Après le quadrille, Hélène appela Jeanne pour rattacher sa robe.

— C’est lui, maman, disait la petite. Il me frotte, il est insupportable.

Autour du salon, les parents souriaient. Quand le piano recommença, tous les bambins se remirent à sauter. Ils éprouvaient une méfiance, pourtant, en voyant qu’on les regardait ; ils restaient sérieux et se retenaient de gambader, pour paraître comme il faut. Quelques-uns savaient danser ; la plupart, ignorant les figures, se remuaient sur place, embarrassés de leurs membres. Mais Pauline intervint.

— Il faut que je m’en mêle… Oh ! les cruches !

Elle se jeta au milieu du quadrille, en prit deux par les mains, l’un à gauche, l’autre à droite, et donna un tel branle à la danse, que les lames du parquet craquèrent. On n’entendait plus que la débandade des petits pieds tapant du talon à contre-temps, tandis que le piano continuait tout seul à jouer en mesure. D’autres grandes personnes s’en mêlèrent aussi. Madame Deberle et Hélène, apercevant des fillettes honteuses qui n’osaient se risquer, les emmenèrent au plus épais. Elles conduisaient les figures, poussaient les cavaliers, formaient les rondes ; et les mères leur passaient les tout petits bébés, pour qu’elles les fissent sauter un instant, en les tenant des deux mains. Alors, le bal fut dans son beau. Les danseurs s’en donnaient à cœur joie, riant et se poussant, pareils à un pensionnat pris tout d’un coup d’une folie joyeuse, en l’absence du maître. Et rien n’était d’une gaieté plus claire que ce carnaval de gamins, ces bouts d’hommes et de femmes qui mélangeaient