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UNE PAGE D’AMOUR.

— Hein ? vous ne vous amusez guère ? disait-elle. Nous causons de choses qui ne vous intéressent pas du tout.

— Non, ne faites pas attention à moi, répondait Hélène gaiement. Je ne m’ennuie jamais… C’est un bonheur pour moi que d’écouter et de ne rien dire.

Et elle ne mentait pas. C’était pendant ses longs silences qu’elle goûtait le mieux le charme d’être là. La tête penchée sur son ouvrage, levant les yeux de loin en loin pour échanger avec le docteur ces longs regards qui les attachaient l’un à l’autre, elle s’enfermait volontiers dans l’égoïsme de son émotion. Entre elle et lui, elle s’avouait maintenant qu’il y avait un sentiment caché, quelque chose de très-doux, d’autant plus doux que personne au monde ne le partageait avec eux. Mais elle portait son secret paisiblement, sans un trouble d’honnêteté, car rien de mauvais ne l’agitait. Comme il était bon avec sa femme et son enfant ! Elle l’aimait davantage, quand il faisait sauter Lucien et baisait Juliette sur la joue. Depuis qu’elle le voyait dans son ménage, leur amitié avait grandi. Maintenant, elle était comme de la famille, elle ne pensait pas qu’on pût l’éloigner. Et, au fond d’elle, elle l’appelait Henri, naturellement, à force d’entendre Juliette lui donner ce nom. Lorsque ses lèvres disaient « monsieur », un écho répétait « Henri », dans tout son être.

Un jour, le docteur trouva Hélène seule sous les ormes. Juliette sortait presque toutes les après-midi.

— Tiens ! ma femme n’est pas là ? dit-il.

— Non, elle m’abandonne, répondit-elle en riant. Il est vrai que vous rentrez plus tôt.

Les enfants jouaient à l’autre bout du jardin. Il s’assit près d’elle. Leur tête-à-tête ne les troublait nul-