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LES ROUGON-MACQUART.

Et Hélène souriait de ces jeux, elle quittait un instant son ouvrage pour envelopper d’un regard tranquille le père, la mère et l’enfant. Le baiser du mari ne la gênait point, les malices de Lucien l’attendrissaient. On eût dit qu’elle se reposait dans la paix heureuse du ménage.

Cependant, le soleil se couchait, jaunissant les hautes branches. Une sérénité tombait du ciel pâle. Juliette, qui avait la manie des questions, même avec les personnes qu’elle connaissait le moins, interrogeait son mari, coup sur coup, souvent sans attendre les réponses.

— Où es-tu allé ? qu’as-tu fait ?

Alors, il disait ses visites, lui parlait d’une connaissance saluée, lui donnait quelque renseignement, une étoffe ou un meuble entrevu à un étalage. Et souvent, en parlant, ses yeux rencontraient les yeux d’Hélène. Ni l’un ni l’autre ne détournait la tête. Ils se regardaient face à face, sérieux une seconde, comme s’ils se fussent vus jusqu’au cœur ; puis, ils souriaient, les paupières lentement abaissées. La vivacité nerveuse de Juliette, qu’elle noyait d’une langueur étudiée, ne leur permettait pas de causer longtemps ensemble ; car la jeune femme se jetait en travers de toutes les conversations. Pourtant, ils échangeaient des mots, des phrases lentes et banales, qui semblaient prendre des sens profonds et qui se prolongeaient au delà du son de leurs voix. À chacune de leurs paroles, ils s’approuvaient d’un léger signe, comme si toutes leurs pensées eussent été communes. C’était une entente absolue, intime, venue du fond de leur être, et qui se resserrait jusque dans leurs silences. Parfois, Juliette arrêtait son bavardage de pie, un peu honteuse de toujours parler.