Page:Emile Zola - Une page d'amour.djvu/103

Cette page a été validée par deux contributeurs.
103
UNE PAGE D’AMOUR.

Non, elle ne devinait pas. Elle cherchait et s’étonnait. Alors, il fit simplement un signe ; d’un mouvement de tête, il indiqua la salle à manger.

— Lui ! s’écria-t-elle en étouffant sa voix.

Et elle devint toute grave. Elle ne protestait plus violemment. Il ne restait sur son visage que de l’étonnement et du chagrin. Longtemps, elle demeura les yeux à terre, songeuse. Non, certes, elle n’aurait jamais deviné ; et pourtant elle ne trouvait aucune objection. M. Rambaud était le seul homme dans la main duquel elle aurait mis loyalement la sienne, sans une crainte. Elle connaissait sa bonté, elle ne riait pas de son épaisseur bourgeoise. Mais, malgré toute son affection pour lui, l’idée qu’il l’aimait la pénétrait d’un grand froid.

Cependant, l’abbé avait repris sa marche d’un bout de la pièce à l’autre ; et comme il passait devant la porte de la salle à manger, il appela doucement Hélène.

— Tenez, venez voir.

Elle se leva et regarda.

M. Rambaud avait fini par asseoir Jeanne sur sa propre chaise. Lui, d’abord appuyé contre la table, venait de se laisser glisser aux pieds de la petite fille. Il était à genoux devant elle, et l’entourait d’un de ses bras. Sur la table, il y avait la charrette attelée d’une cocotte, puis des bateaux, des boîtes, des bonnets d’évêque.

— Alors, tu m’aimes bien ? disait-il, répète que tu m’aimes bien.

— Mais oui, je t’aime bien, tu le sais.

Il hésitait, frémissant, comme s’il avait eu une déclaration d’amour à risquer.

— Et si je te demandais à rester toujours ici, avec toi, qu’est-ce que tu répondrais ?