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LES ROUGON-MACQUART.

cortége, au milieu de la foule. À droite, s’alignaient des gardes nationaux ; à gauche, des soldats de la ligne. Un bout de cette double haie se perdait dans la rue d’Arcole, pavoisée de drapeaux, tendue aux fenêtres d’étoffes riches, qui battaient mollement, le long des maisons noires. Le pont, laissé vide, était la seule bande de terre nue, au milieu de l’envahissement des moindres coins ; et il faisait un étrange effet, désert, léger, avec son unique arche de fer, d’une courbe si molle. Mais, en bas, sur les berges de la rivière, l’écrasement recommençait ; des bourgeois endimanchés avaient étalé leurs mouchoirs, s’étaient assis là, à côté de leurs femmes, attendant, se reposant de tout un après-midi de flânerie. Au delà du pont, au milieu de la nappe élargie de la rivière, très-bleue, moirée de vert à la rencontre des deux bras, une équipe de canotiers en vareuses rouges ramaient, pour maintenir leur canot à la hauteur du Port-aux-Fruits. Il y avait encore, contre le quai de Gèvres, un grand lavoir, avec ses charpentes verdies par l’eau, dans lequel on entendait les rires et les coups de battoir des blanchisseuses. Et ce peuple entassé, ces trois à quatre cent mille têtes, par moments, se levaient, regardaient les tours de Notre-Dame, qui dressaient de biais leur masse carrée, au-dessus des maisons du quai Napoléon. Les tours, dorées par le soleil couchant, couleur de rouille sur le ciel clair, vibraient dans l’air, toutes sonores d’un carillon formidable.

Deux ou trois fausses alertes avaient déjà causé de profondes bousculades dans la foule.

— Je vous assure qu’ils ne passeront pas avant cinq heures et demie, disait un grand diable assis devant un café du quai de Gesvres, en compagnie de M. et de madame Charbonnel.

C’était Gilquin, Théodore Gilquin, l’ancien locataire