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LES ROUGON-MACQUART.

je lui ai dit un jour que je serais contente de mourir pour lui… Un chapelet qui me portait bonheur. Maintenant, il n’aura plus de vertu, il attirera le diable…

— Voyons, donne-le-moi, interrompit M. de Plouguern. Tu vas t’abîmer les ongles, à vouloir raccommoder ça… L’argent, c’est dur, mignonne.

Il avait repris le chapelet, il tâchait de déplier le bras de la croix, délicatement, de façon à ne pas le casser. Clorinde ne pleurait plus, les yeux fixes, très-attentive. Rougon, lui aussi, avançait la tête, avec un sourire ; il était d’une irréligion déplorable, à ce point que la jeune fille avait failli rompre deux fois avec lui pour des plaisanteries déplacées.

— Fichtre ! disait à demi-voix M. de Plouguern, il n’est pas tendre, le bon Dieu. C’est que j’ai peur de le couper en deux… Tu aurais un bon Dieu de rechange, petite.

Il fit un nouvel effort. La croix se rompit net.

— Ah ! tant pis ! s’écria-t-il. Cette fois, il est cassé.

Rougon s’était mis à rire. Alors, Clorinde, les yeux très-noirs, la face convulsée, se recula, les regarda en face, puis de ses poings fermés les repoussa furieusement, comme si elle avait voulu les jeter à la porte. Elle les injuriait en italien, la tête perdue.

— Elle nous bat, elle nous bat, répéta gaiement M. de Plouguern.

— Voilà les fruits de la superstition, dit Rougon entre ses dents.

Le vieillard cessa de plaisanter, la mine subitement grave ; et, comme le grand homme continuait à lancer des phrases toutes faites sur l’influence détestable du clergé, sur l’éducation déplorable des femmes catholiques, sur l’abaissement de l’Italie livrée aux prêtres, il déclara de sa voix sèche :