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LES ROUGON-MACQUART.

chuchotement dans la salle. Et, tout en passant les feuilles une à une à un secrétaire, il disait sans points ni virgules, d’une façon interminable :

— Présentation d’un projet de loi tendant à proroger la perception d’une surtaxe à l’octroi de la ville de Lille… Présentation d’un projet de loi relatif à la réunion en une seule commune des communes de Doulevant-le-Petit et de Ville-en-Blaisais (Haute-Marne)…

Quand M. Kahn redescendit, il était désolé.

— Décidément, personne ne l’a vu, dit-il à ses collègues Béjuin et La Rouquette, qu’il rencontra au bas de l’hémicycle. On m’a assuré que l’empereur l’avait fait demander hier soir, mais j’ignore ce qu’il est résulté de l’entretien… Rien n’est ennuyeux comme de ne pas savoir à quoi s’en tenir.

M. La Rouquette, pendant qu’il tournait le dos, murmura à l’oreille de M. Béjuin :

— Ce pauvre Kahn a joliment peur que Rougon ne se fâche avec les Tuileries. Il pourrait courir après son chemin de fer.

Alors, M. Béjuin, qui parlait peu, lâcha gravement cette phrase :

— Le jour où Rougon quittera le Conseil d’État, ce sera une perte pour tout le monde.

Et il appela du geste un huissier, pour le prier d’aller jeter à la boîte les lettres qu’il venait d’écrire.

Les trois députés restèrent au pied du bureau, à gauche. Ils causèrent prudemment de la disgrâce qui menaçait Rougon. C’était une histoire compliquée. Un parent éloigné de l’impératrice, un sieur Rodriguez, réclamait au gouvernement français une somme de deux millions, depuis 1808. Pendant la guerre d’Espagne, ce Rodriguez, qui était armateur, eut un navire chargé de sucre et de café capturé dans le golfe de Gascogne et