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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

Elle remuait tellement, qu’il ne pouvait plus travailler. Il avait lâché le fusain, pour étaler de minces couleurs sur la toile, d’un air appliqué d’écolier. Il restait grave, au milieu des rires, levant des yeux de flamme sur la jeune fille, regardant d’un air terrible les hommes avec lesquels elle plaisantait. C’était lui qui avait eu l’idée de la peindre vêtue de ce costume de Diane chasseresse, dont tout Paris causait, depuis le dernier bal de la légation. Il se disait son cousin, parce qu’ils étaient nés dans la même rue, à Florence.

— Clorinda ! répéta-t-il d’un ton de colère.

— Luigi a raison, dit-elle. Vous n’êtes pas raisonnables, messieurs ; vous faites un bruit !… Travaillons, travaillons.

Et elle se campa de nouveau dans sa pose olympienne. Elle redevint un beau marbre. Ces messieurs restèrent à leur place, immobiles, comme cloués. M. La Rouquette hasardait seul, sur le bras de son fauteuil, un roulement de tambour discret, du bout des doigts. Rougon, le dos renversé, regardait Clorinde, peu à peu songeur, envahi d’une rêverie, dans laquelle la jeune fille grandissait démesurément. C’était, tout de même, une étrange mécanique qu’une femme. Jamais il n’avait eu l’idée d’étudier cela. Il commençait à entrevoir des complications extraordinaires. Un instant, il eut l’intuition très-nette de la puissance de ces épaules nues, capables d’ébranler un monde. Clorinde, dans ses regards brouillés, s’élargissait toujours, lui bouchait toute la baie, de sa taille de statue géante. Mais il battit des paupières, il la retrouva, bien moins grosse que lui, sur la table. Alors, il eut un sourire ; s’il l’avait voulu, il l’aurait fouettée comme une petite fille ; et il resta surpris d’en avoir eu peur un moment.

Cependant, à l’autre bout de la galerie, un petit bruit