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LES ROUGON-MACQUART.

Cette vérité ramena dans la conversation le nom de M. de Marsy. Rougon, le nez baissé, comme perdu au fond d’un portefeuille dont il examinait chaque poche, laissa ses amis se soulager. Ils parlaient de Marsy avec un emportement d’hommes politiques se ruant sur un adversaire. Les mots grossiers, les accusations abominables, les histoires vraies exagérées jusqu’au mensonge, pleuvaient dru. Du Poizat, qui avait connu Marsy autrefois, avant l’empire, affirmait qu’il était alors entretenu par sa maîtresse, une baronne dont il avait mangé les diamants en trois mois. M. Kahn prétendait que pas une affaire véreuse ne traînait sur la place de Paris, sans qu’on trouvât dedans la main de Marsy. Et ils s’échauffaient l’un l’autre, ils se renvoyaient des faits de plus en plus forts : dans une entreprise de mine, Marsy avait touché un pot-de-vin de quinze cent mille francs ; il venait d’offrir, le mois dernier, un hôtel à la petite Florence, des Bouffes, une bagatelle de six cent mille francs, sa part d’un trafic sur les actions des chemins de fer du Maroc ; il n’y avait pas huit jours enfin, la grande affaire des canaux égyptiens, lancée par des créatures à lui, s’était écroulée avec un immense scandale, les actionnaires ayant su que pas un coup de pioche n’avait été donné, depuis deux ans qu’ils opéraient des versements. Puis, ils se jetèrent sur sa personne elle-même, s’efforçant de rapetisser sa haute mine d’aventurier élégant, parlant de maladies anciennes qui lui joueraient plus tard un mauvais tour, allant jusqu’à attaquer la galerie de tableaux qu’il réunissait alors.

— C’est un bandit tombé dans la peau d’un vaudevilliste, finit par dire Du Poizat.

Rougon releva lentement la tête. Il regarda les deux hommes de ses gros yeux.

— Vous voilà bien avancés, dit-il. Marsy fait ses af-