Page:Emile Zola - Son Excellence Eugène Rougon.djvu/420

Cette page a été validée par deux contributeurs.
420
LES ROUGON-MACQUART.

une inconvenance. Alors, lui, pour empêcher les commentaires fâcheux, s’approcha du kiosque où madame de Combelot tournait toujours ses petits bouquets. Ça ne devait pas être cher, ces bouquets-là. Par prudence, il ne voulut pas même d’un bouquet, devinant que la bouquetière devait mettre un haut prix à son travail. Il choisit, dans le tas de roses, la moins épanouie, la plus maigre, un bouton à demi-mangé. Et galamment, sortant son porte-monnaie :

— Madame, combien cette fleur ?

— Cent francs, monsieur, répondit la dame, qui avait suivi son manége du coin de l’œil.

Il balbutia, ses mains tremblèrent. Mais, cette fois, il était impossible de reculer. Du monde se trouvait là, on le regardait. Il paya, et, se réfugiant dans le buffet, il s’assit à la table de M. Kahn, en murmurant :

— C’est un guet-apens, un guet-apens…

— Vous n’avez pas vu Rougon dans la salle ? demanda M. Kahn.

Le colonel ne répondit pas. Il jetait de loin des regards furibonds aux vendeuses. Puis, comme M. d’Escorailles et M. La Rouquette riaient très-fort, devant un comptoir, il dit encore entre ses dents :

— Parbleu ! les jeunes gens, ça les amuse… Ils finissent toujours par en avoir pour leur argent.

M. d’Escorailles et M. La Rouquette, en effet, s’amusaient beaucoup. Ces dames se les arrachaient. Dès leur entrée, des bras s’étaient tendus vers eux ; à droite, à gauche, leurs noms sonnaient.

— Monsieur d’Escorailles, vous savez ce que vous m’avez promis… Voyons, monsieur La Rouquette, vous m’achèterez bien un petit dada. Non ? Alors, une poupée. Oui, oui, une poupée, c’est ce qu’il vous faut !

Ils se donnaient le bras, pour se protéger, disaient-ils