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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

ce fut de le sauver de la police correctionnelle et de le renier. Cependant, jusque-là, Du Poizat s’était appuyé fortement sur Rougon, dont il engageait la responsabilité davantage à chaque nouvelle catastrophe. Il dut flairer la disgrâce du ministre, car il vint à Paris sans l’avertir, très-ébranlé lui-même, sentant craquer ce pouvoir qu’il avait ruiné, cherchant déjà quelque main puissante où se raccrocher. Il songeait à demander son changement de préfecture, afin d’éviter une démission certaine. Après la mort de son père et la coquinerie de Gilquin, Niort devenait impossible.

— J’ai rencontré monsieur Du Poizat dans le faubourg Saint-Honoré, à deux pas d’ici, dit un jour Clorinde au ministre, par méchanceté. Vous n’êtes donc plus bien ensemble ?… Il a l’air furieux contre vous.

Rougon évita de répondre. Peu à peu, ayant dû refuser plusieurs faveurs au préfet, il avait senti un grand froid entre eux ; maintenant, Ils s’en tenaient aux simples relations officielles. D’ailleurs, la débandade était générale. Madame Correur elle-même l’abandonnait. Certains soirs, il éprouvait de nouveau cette impression de solitude, dont il avait souffert déjà autrefois, rue Marbeuf, lorsque sa bande doutait de lui. Après ses journées si remplies, au milieu de la foule qui assiégeait son salon, il se retrouvait seul, perdu, navré. Ses familiers lui manquaient. Un impérieux besoin lui revenait de l’admiration continue du colonel et de M. Bouchard, de la chaleur de vie dont l’entourait sa petite cour ; jusqu’aux silences de M. Béjuin qu’il regrettait. Alors, il tenta encore de ramener son monde ; il se fit aimable, écrivit des lettres, hasarda des visites. Mais les liens étaient rompus, jamais il ne parvint à les avoir tous là, à ses côtés ; s’il renouait d’un bout, quelque fâcherie, à l’autre bout, cassait le fil ; et il restait quand même incomplet,