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LES ROUGON-MACQUART.

Clorinde. C’était un murmure passionné, accompagné de petites notes légères ; les paroles italiennes ne s’entendaient pas, soupirées, tremblées ; au dernier couplet, sans doute un couplet de souffrance amoureuse, Pozzo, qui prenait une voix sombre, resta la bouche souriante, d’un air de ravissement dans le désespoir. Quand il se tut, on l’applaudit beaucoup. Pourquoi ne faisait-il pas éditer ces choses charmantes ? Sa situation dans la diplomatie n’était pas un obstacle.

— J’ai connu un capitaine qui a fait jouer un opéra-comique, dit le colonel Jobelin, On ne l’en a pas plus mal regardé au régiment.

— Oui, mais dans la diplomatie…, murmura madame Correur en hochant la tête.

— Mon Dieu ! non, je crois que vous vous trompez, déclara M. Kahn. Les diplomates sont comme les autres hommes. Plusieurs cultivent les arts d’agrément.

Clorinde avait lancé un léger coup de pied dans le flanc de Pozzo, en lui donnant un ordre à demi-voix. Il se leva, jeta la guitare sur un tas de vêtements. Et quand il revint, au bout de cinq minutes, il était suivi d’Antonia portant un plateau où se trouvaient des verres et une carafe ; lui, tenait un sucrier qui n’avait pu trouver place sur le plateau. Jamais on ne buvait autre chose que de l’eau sucrée chez la jeune femme ; encore les familiers de la maison savaient-ils lui faire plaisir lorsqu’ils prenaient de l’eau pure.

— Eh bien, qu’y a-t-il ? dit-elle en se tournant vers le cabinet de toilette, où une porte grinçait.

Puis, comme se souvenant, elle s’écria :

— Ah ! c’est maman… Elle était couchée.

En effet, c’était la comtesse Balbi, enveloppée dans une robe de chambre de laine noire ; elle avait noué sur sa tête un lambeau de dentelle, dont les bouts s’enrou-