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LES ROUGON-MACQUART.

— Je suis allé cet après-midi dans un café où on le jugeait bien sévèrement, reprit le colonel après un silence. On assurait qu’il branlait dans le manche, qu’il n’en avait pas dans le ventre pour deux mois.

M. Kahn eut un geste dédaigneux, en disant :

— Moi, je ne lui en donne pas pour trois semaines… Voyez-vous, Rougon n’est pas un homme de gouvernement ; il aime trop le pouvoir, il se laisse griser, et alors il tape à tort et à travers, il administre à coups de bâton, avec une brutalité révoltante… Enfin, depuis cinq mois, il a commis des actes monstrueux…

— Oui, oui, interrompit le colonel, toutes sortes de passe-droits, d’injustices, d’absurdités… Il abuse, il abuse, vraiment.

Madame Correur, sans parler, tourna les doigts en l’air, comme pour dire qu’il avait la tête peu solide.

— C’est cela, reprit M. Kahn en remarquant le geste. La tête n’est pas très d’aplomb, hein ?

Et, comme on le regardait, M. Béjuin crut devoir lâcher aussi quelque chose.

— Oh ! pas fort, Rougon, murmura-t-il, pas fort du tout !

Clorinde, la tête renversée sur ses oreillers, examinant au plafond le rond lumineux de la lampe, les laissait aller. Quand ils se turent, elle dit à son tour, pour les pousser :

— Sans doute il a abusé, mais il prétend avoir fait tout ce qu’on lui reproche dans l’unique but d’obliger ses amis… Ainsi, j’en causais l’autre jour avec lui. Les services qu’il vous a rendus…

— À nous ! à nous ! crièrent-ils tous les quatre à la fois, furieusement.

Ils parlaient ensemble, ils voulaient protester sur le coup. Mais M. Kahn cria le plus fort.