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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

fâcheux, reprit le souverain. Les journaux hostiles se sont emparés de l’événement, ils le racontent d’une façon mystérieuse, avec des réticences d’un effet déplorable… Je suis très-chagrin de tout cela, monsieur Rougon.

Il n’insista pas. Il resta quelques secondes, la cigarette collée aux lèvres.

— Vous êtes allé dernièrement dans les Deux-Sèvres, continua-t-il, vous avez assisté à une solennité… Êtes-vous bien sûr de la solidité financière de M. Kahn ?

— Oh ! absolument sûr ! s’écria Rougon.

Et il entra dans de nouvelles explications. M. Kahn s’appuyait sur une société anglaise fort riche ; les actions du chemin de fer de Niort à Angers faisaient prime à la Bourse ; c’était la plus belle opération qu’on pût imaginer. L’empereur paraissait incrédule.

— On a exprimé devant moi des craintes, murmura-t-il. Vous comprenez combien il serait malheureux que votre nom fût mêlé à une catastrophe… Enfin, puisque vous m’affirmez le contraire…

Il abandonna ce second sujet pour passer à un troisième.

— C’est comme le préfet des Deux-Sèvres, on est très-mécontent de lui, m’a-t-on assuré. Il aurait tout bouleversé, là-bas. Il serait en outre le fils d’un ancien huissier dont les allures bizarres font causer le département… M. Du Poizat est votre ami, je crois ?

— Un de mes bons amis, sire.

Et, l’empereur s’étant levé, Rougon se leva également. Le premier marcha jusqu’à une fenêtre, puis revint en soufflant de légers filets de fumée.

— Vous avez beaucoup d’amis, monsieur Rougon, dit-il d’un air fin.

— Oui, sire, beaucoup ! répondit carrément le ministre.