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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

— Oui, peut-être, répondit Rougon. On ne sait jamais. Je crois que plusieurs de nos collègues doivent rendre compte de certains travaux… Moi, en tout cas, je soulèverai la question de ce livre pour lequel je suis en conflit avec la commission de colportage.

— Quel livre ? demanda vivement Clorinde.

— Une ânerie, un de ces volumes qu’on fabrique pour les paysans. Cela s’appelle les Veillées du bonhomme Jacques. Il y a de tout là-dedans, du socialisme, de la sorcellerie, de l’agriculture, jusqu’à un article célébrant les bienfaits de l’association… Un bouquin dangereux, enfin !

La jeune femme, dont la curiosité ne devait pas être satisfaite, se tourna comme pour interroger son mari.

— Vous êtes sévère, Rougon, déclara Delestang. J’ai parcouru ce livre, j’y ai découvert de bonnes choses ; le chapitre sur l’association est bien fait… Je serais surpris si l’empereur condamnait les idées qui s’y trouvent exprimées.

Rougon allait s’emporter. Il ouvrait les bras, dans un geste de protestation. Et il se calma brusquement, comme ne voulant pas discuter ; il ne dit plus rien, jetant des coups d’œil sur le paysage, aux deux côtés de l’horizon. Le landau était alors au milieu du pont de Saint-Cloud ; en bas, toute moirée de soleil, la rivière avait des nappes dormantes d’un bleu pâle ; tandis que des files d’arbres, le long des rives, enfonçaient dans l’eau des ombres vigoureuses. L’immense ciel, en amont et en aval, montait, tout blanc d’une limpidité printanière, à peine teinté d’un frisson bleu.

Lorsque la voiture se fut arrêtée dans la cour du château, Rougon descendit le premier et tendit la main à Clorinde. Mais celle-ci affecta de ne pas accepter ce soutien ; elle sauta légèrement à terre. Puis, comme il