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LES ROUGON-MACQUART.

fut sans doute pas satisfait de son attitude hésitante.

— Je ne vous cacherai pas, reprit-il, que Sa Majesté est très-mécontente en ce moment du personnel administratif. Il pourrait y avoir bientôt un grand mouvement préfectoral. Nous avons besoin d’hommes très-dévoués, dans les circonstances graves où nous sommes.

Ce fut comme un coup de fouet.

— Son Excellence peut compter sur moi, s’écria le préfet. J’ai déjà mes hommes ; il y a un pharmacien à Péronne, un marchand de drap et un fabricant de papier à Doullens ; quant aux avocats, ils ne manquent pas, c’est une peste… Oh ! j’assure à Son Excellence que je trouverai les douze… Je suis un vieux serviteur de l’empire.

Il parla encore de sauver le pays, et s’en alla, en saluant très-bas. Le ministre, derrière lui, balança son grand corps d’un air de doute ; il ne croyait pas aux petits hommes. Sans se rasseoir, il barra la Somme d’un trait rouge sur la liste. Plus des deux tiers des départements se trouvaient déjà barrés. Le cabinet gardait le silence étouffé de ses tentures vertes mangées par la poussière, l’odeur grasse dont l’embonpoint de Rougon semblait l’emplir.

Quand il sonna Merle de nouveau, il s’irrita de voir que l’antichambre était toujours pleine. Il crut même reconnaître les deux dames, devant la table.

— Je vous avais dit de congédier tout le monde, cria-t-il. Je sors, je ne puis recevoir.

— Monsieur le directeur du Vœu national est là, murmura l’huissier.

Rougon l’avait oublié. Il noua les poings derrière son dos et donna l’ordre de l’introduire. C’était un homme d’une quarantaine d’années, mis avec une grande recherche, la figure épaisse.