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LES ROUGON-MACQUART.

Un huissier entra, tout essoufflé, balbutiant que Son Excellence le ministre de la justice demandait à parler à Son Excellence ; et il regardait du coin de l’œil cette dame qui fumait.

— Dites que je suis sorti ! cria Rougon. Je n’y suis pour personne, entendez-vous !

Quand l’huissier se fut retiré à reculons, en saluant, il s’emporta, donna des coups de poing sur les meubles. On ne le laissait plus respirer ; la veille encore, on l’avait relancé jusque dans son cabinet de toilette, pendant qu’il se faisait la barbe. Clorinde, délibérément, marcha vers la porte.

— Attendez, dit-elle. On ne nous dérangera plus.

Elle prit les clefs, les mit en dedans, ferma à double tour.

— . On peut frapper, maintenant.

Et elle revint rouler une troisième cigarette, debout devant la fenêtre. Il crut à une heure d’abandon. Il s’approcha, lui dit dans le cou :

— Clorinde !

Elle ne bougea pas, et il reprit d’une voix plus basse :

— Clorinde, pourquoi ne veux-tu pas ?

Ce tutoiement la laissa calme. Elle dit non de la tête, mais faiblement, comme si elle avait voulu l’encourager, le pousser encore. Il n’osait la toucher, devenu tout d’un coup timide, demandant la permission en écolier que sa première bonne fortune paralyse. Pourtant, il finit par la baiser rudement sur la nuque, à la racine des cheveux. Alors, elle se tourna, toute méprisante, en s’écriant :

— Tiens, ça vous reprend donc, mon cher ? Je croyais que ça vous avait passé… Quel drôle d’homme vous faites ! Vous embrassez les femmes après dix-huit mois de réflexion.