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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

lait sur la quantité de bois brûlant dans la cheminée. Il finit par murmurer, les yeux sur les flammes, d’un air absorbé :

— Je me suis laissé conter qu’on brûle pour quinze cents francs de bois par jour au château… Quinze cents francs ! Hein ? Rougon, le chiffre ne vous paraît pas un peu fort ?

Rougon, qui buvait lentement son chocolat, se contenta de hocher la tête. Il était très-préoccupé par la gaieté vive de Clorinde. Ce matin-là, elle semblait s’être levée avec une fièvre extraordinaire de beauté ; elle avait ses grands yeux luisants de combat.

— Quel est donc ce pari dont vous parliez hier soir ? lui demanda-t-il brusquement.

Elle se mit à rire, sans répondre. Et comme il insistait :

— Vous verrez bien, dit-elle.

Alors, peu à peu, il se fâcha, il la traita durement. Ce fut une véritable scène de jalousie, avec des allusions d’abord voilées, qui devinrent bientôt des accusations toutes crues : elle s’était donnée en spectacle, elle avait laissé ses doigts dans ceux de M. de Marsy pendant plus de deux minutes. Delestang, d’un air tranquille, trempait de longues mouillettes dans son café au lait.

— Ah ! si j’étais votre mari ! cria Rougon.

Clorinde s’était levée. Elle se tenait debout derrière Delestang, les deux mains appuyées sur ses épaules.

— Eh bien ! quoi ? si vous étiez mon mari, demanda-t-elle.

Et se penchant vers Delestang, parlant dans ses cheveux, qu’elle soulevait d’un souffle tiède :

— N’est-ce pas, mon ami, il serait bien sage, aussi sage que toi ?

Pour toute réponse, il plia le cou et baisa la main