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LES ROUGON-MACQUART.

— Oui, oui, murmura-t-il, il en a été question un instant.

— Eh bien ?

— On a abandonné ce projet… L’impératrice n’aime guère ce genre de pièce.

À ce moment, il y eut un grand mouvement dans la galerie. Tous les hommes étaient redescendus du fumoir. L’empereur allait faire sa partie de palets. Madame de Combelot, qui se piquait d’une jolie force à ce jeu, venait de lui demander une revanche, car elle se rappelait avoir été battue par lui, l’autre saison ; et elle prenait une humilité tendre, elle s’offrait toujours, avec un sourire si net, que Sa Majesté, gênée, intimidée, devait souvent détourner les yeux.

La partie s’engagea. Un grand nombre d’invités firent cercle, jugeant les coups, s’émerveillant. La jeune femme, devant la longue table recouverte d’un drap vert, lança son premier palet, qu’elle plaça près du but, figuré par un point blanc. Mais l’empereur, montrant plus d’adresse encore, le délogea et prit la place. On applaudit doucement. Ce fut pourtant madame de Combelot qui gagna.

— Sire, qu’est-ce que nous avons joué ? demanda-t-elle avec hardiesse.

Il sourit, il ne répondit pas. Puis, se tournant, il dit :

— Monsieur Rougon, voulez-vous faire une partie avec moi ?

Rougon s’inclina et prit les palets, tout en parlant de sa maladresse.

Un frémissement avait couru, parmi les personnes rangées aux deux bords de la table. Est-ce que Rougon, décidément, rentrait en grâce ? Et l’hostilité sourde dans laquelle il marchait depuis son arrivée, se fondait, des têtes s’avançaient, pour suivre ses palets d’un air