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LES ROUGON-MACQUART.

crédules, si la presse avait pu parler librement ? Et il répéta comme conclusion :

— Je suis républicain, décidément.

— Vous êtes bien heureux, murmura M. Kahn ; moi, je ne sais plus ce que je suis.

Rougon, pliant ses larges épaules, avait commencé une réussite fort délicate. Il s’agissait, après avoir distribué les cartes trois fois en sept paquets, en cinq, puis en trois, d’arriver à ce que, toutes les cartes étant tombées, les huit trèfles se trouvassent ensemble. Il paraissait absorbé au point de ne rien entendre, bien que ses oreilles eussent comme des frémissements, à certains mots.

— Le régime parlementaire offrait des garanties sérieuses, dit le colonel. Ah ! si les princes revenaient !

Le colonel Jobelin était orléaniste, dans ses heures d’opposition. Il racontait volontiers le combat du col de Mouzaïa, où il avait fait le coup de feu, à côté du duc d’Aumale, alors capitaine au 4e de ligne.

— On était très-heureux sous Louis-Philippe, continua-t-il, en voyant le silence qui accueillait ses regrets. Croyez-vous que, si nous avions un cabinet responsable, notre ami ne serait pas à la tête de l’État avant six mois ? Nous compterions bientôt un grand orateur de plus.

Mais M. Bouchard donnait des signes d’impatience. Lui, se disait légitimiste ; son grand-père avait approché la cour, autrefois. Aussi, à chaque soirée, des querelles terribles s’engageaient-elles entre lui et son cousin sur la politique.

— Laissez donc ! murmura-t-il ; votre monarchie de Juillet a toujours vécu d’expédients. Il n’y a qu’un principe, vous le savez bien.

Alors, ils se traitèrent très-vertement. Ils faisaient table rase de l’empire, ils installaient chacun le gouvernement de son choix. Est-ce que les Orléans avaient