Page:Emile Zola - Son Excellence Eugène Rougon.djvu/150

Cette page a été validée par deux contributeurs.
150
LES ROUGON-MACQUART.

Et tous deux, à petits pas, ils revinrent vers la porte, ils sortirent sur le palier, l’air très-calme. Rougon gardait seulement aux tempes les quelques gouttes de sueur que venait de lui coûter sa dernière victoire. Clorinde se redressait, dans la certitude de sa force. Ils demeurèrent un moment face à face, muets, n’ayant plus rien à se dire, ne pouvant se séparer pourtant. Enfin, comme il s’en allait en lui donnant une poignée de main, elle le retint par une courte pression, elle lui dit sans colère :

— Vous vous croyez plus fort que moi… Vous avez tort… Un jour, vous pourrez avoir des regrets.

Elle ne le menaça pas davantage. Elle s’accouda sur la rampe, pour le regarder descendre. Quand il fut en bas, il leva la tête, et ils se sourirent. Elle n’avait pas la vengeance puérile, elle rêvait déjà de l’écraser par quelque triomphe d’apothéose. En rentrant dans le cabinet, elle se surprit à dire, à demi-voix :

— Ah ! tant pis ! tous les chemins mènent à Rome.

Dès le soir, Rougon commença le siége du cœur de Delestang. Il lui rapporta de prétendues paroles, très-flatteuses, que mademoiselle Balbi avait prononcées sur son compte, au banquet de l’Hôtel-de-Ville, le jour du baptême. Et il ne se lassa plus, à partir de cette heure, d’entretenir l’ancien avoué de la beauté extraordinaire de la jeune fille. Lui, qui, autrefois, le mettait si souvent en garde contre les femmes, tâchait de le livrer à celle-là, pieds et poings liés. Un jour, c’étaient les mains qu’elle avait superbes ; un autre jour, il célébrait sa taille, il en parlait avec une crudité provocante. Delestang, très-inflammable, le cœur déjà occupé de Clorinde, flamba bientôt d’une passion folle. Quand Rougon lui eut affirmé qu’il n’avait jamais songé à elle, il lui avoua qu’il l’aimait depuis six mois, mais qu’il se taisait, de peur