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LES ROUGON-MACQUART.

Cependant, Rougon avait conduit mademoiselle Véronique jusqu’à sa voiture ; et là, avant qu’elle fût montée, il la saluait. Juste à ce moment, la belle Clorinde sortait de l’église, au bras de Delestang. Elle devint grave, elle enveloppa d’un regard de flamme cette grande fille jaune, sur laquelle Rougon avait la galanterie de refermer la portière, malgré son habit de sénateur. Alors, pendant que la voiture s’éloignait, elle marcha droit à lui, lâchant le bras de Delestang, retrouvant son rire de grande enfant. Toute la bande la suivit.

— J’ai perdu maman ! lui cria-t-elle gaiement. On m’a enlevé maman, au milieu de la foule… Vous m’offrez un petit coin dans votre coupé, hein ?

Delestang, qui allait lui proposer de la reconduire chez elle, parut très-contrarié. Elle portait une robe de soie orange, brochée de fleurs si voyantes, que les valets de pied la regardaient. Rougon s’était incliné, mais ils durent attendre le coupé, pendant près de dix minutes. Tous restèrent là, même Delestang, dont la voiture était sur le premier rang, à deux pas. L’église continuait à se vider lentement. M. Kahn et M. Béjuin, qui passaient, accoururent se joindre à la bande. Et, comme le grand homme avait de molles poignées de main, l’air maussade, M. Kahn lui demanda, avec une vivacité inquiète :

— Est-ce que vous êtes souffrant ?

— Non, répondit-il. Ce sont toutes ces lumières, là-dedans, qui m’ont fatigué.

Il se tut, puis il reprit, à demi-voix :

— C’était très-grand… Je n’ai jamais vu une pareille joie sur la figure d’un homme.

Il parlait de l’empereur. Il avait ouvert les bras, dans un geste large, avec une lente majesté comme pour rappeler la scène de l’église ; et il n’ajouta rien. Ses amis, autour de lui, se taisaient également. Ils faisaient,