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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

fumerie ; mais le commerce n’allait pas, à cause de la république. Tous les deux, ils crevaient de faim sur le même palier. Alors, lui, avait eu l’idée de pousser Rougon à se faire envoyer de l’huile d’olive par un propriétaire de Plassans ; et ils s’étaient mis en campagne, chacun de son côté, battant le pavé de Paris jusqu’à des dix heures du soir, avec des échantillons d’huile dans leurs poches. Rougon n’était pas fort ; pourtant il rapportait parfois de belles commandes, prises chez les grands personnages où il allait en soirée. Ah ! ce gredin de Rougon ! plus bête qu’une oie sur toutes sortes de choses, et malin avec cela ! Comme il avait fait trimer Théodore, plus tard, pour sa politique ! Ici, Gilquin baissa un peu la voix, cligna les yeux ; car, enfin, lui aussi avait fait partie de la bande. Il courait les bastringues de barrière, où il criait : Vive la république ! Dame, il fallait bien être républicain, pour racoler du monde. L’empire lui devait un beau cierge. Eh bien ! l’empire ne lui disait pas même merci. Tandis que Rougon et sa clique se partageaient le gâteau, on le flanquait à la porte, comme un chien galeux. Il préférait ça, il aimait mieux rester indépendant. Seulement, il éprouvait un regret, celui de n’être pas allé jusqu’au bout avec les républicains, pour balayer à coups de fusil toute cette crapule-là.

— C’est comme le petit Du Poizat, qui a l’air de ne plus me reconnaître ! dit-il en terminant. Un gringalet dont j’ai bourré plus d’une fois la pipe !… Du Poizat ! sous-préfet ! Je l’ai vu en chemise avec la grande Amélie, qui le jetait d’une claque à la porte, quand il n’était pas sage.

Il se tut un instant, subitement attendri, les yeux noyés d’ivresse. Puis, il reprit, en interrogeant les consommateurs à la ronde :

— Enfin, vous venez de voir Rougon… Je suis aussi