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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

médaille de la grandeur d’une pièce de dix sous, portant d’un côté les profils de l’empereur et de l’impératrice, de l’autre celui du prince impérial, avec la date du baptême : 14 juin 1856.

— Voulez-vous me la céder ? demanda M. Charbonnel.

Gilquin consentit. Mais, comme le bonhomme, embarrassé pour le prix, lui donnait une pièce de vingt sous, il refusa grandement, il dit que cela ne devait valoir que dix sous. Cependant, madame Charbonnel regardait les profils du couple impérial. Elle s’attendrissait.

— Ils ont l’air bien bon, disait-elle. Ils sont là-dessus, l’un contre l’autre, comme de braves gens… Voyez donc, monsieur Charbonnel, on dirait deux têtes sur le même traversin, quand on regarde la pièce de cette façon.

Alors, Gilquin revint à l’impératrice, dont il exalta la charité. Au neuvième mois de sa grossesse, elle avait donné des après-midi entières à la création d’une maison d’éducation pour les jeunes filles pauvres, tout en haut du faubourg Saint-Antoine. Elle venait de refuser quatre-vingt mille francs, recueillis cinq sous par cinq sous dans le peuple, pour offrir un cadeau au petit prince, et cette somme allait, d’après son désir, servir à l’apprentissage d’une centaine d’orphelins. Gilquin, légèrement gris déjà, ouvrait des yeux terribles en cherchant des inflexions tendres, des expressions alliant le respect du sujet à l’admiration passionnée de l’homme. Il déclarait qu’il ferait volontiers le sacrifice de sa vie, aux pieds de cette noble femme. Mais, autour de lui, personne ne protestait. Le brouhaha de la foule était au loin comme l’écho de ses éloges, s’élargissant en une clameur continue. Et les cloches de Notre-Dame, à toute volée, roulaient par-dessus les maisons l’écroulement de leur joie énorme.