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LES ROUGON-MACQUART.


Il y eut un silence. M. La Rouquette, adossé contre le soubassement de marbre, levait le nez, tâchait de fixer l’attention de la belle Clorinde.

— Mais, demanda-t-il naïvement, pourquoi Rougon ne veut-il pas qu’on rende les deux millions au Rodriguez ? Qu’est-ce que ça lui fait ?

— Il y a là une question de conscience, dit gravement M. Kahn.

M. La Rouquette regarda ses deux collègues l’un après l’autre ; mais, les voyant solennels, il ne sourit même pas.

— Puis, continua M. Kahn comme répondant aux choses qu’il ne disait pas tout haut, Rougon a des ennuis, depuis que Marsy est ministre de l’intérieur. Ils n’ont jamais pu se souffrir… Rougon me disait que, sans son attachement à l’empereur, auquel il a déjà rendu tant de services, il serait depuis longtemps rentré dans la vie privée… Enfin, il n’est plus bien aux Tuileries, il sent la nécessité de faire peau neuve.

— Il agit en honnête homme, répéta M. Béjuin.

— Oui, dit M. La Rouquette d’un air fin, s’il veut se retirer, l’occasion est bonne… N’importe, ses amis seront désolés. Voyez donc le colonel là-haut, avec sa mine inquiète ; lui qui comptait si bien s’attacher son ruban rouge au cou, le 15 août prochain !… Et la jolie madame Bouchard qui avait juré que le digne monsieur Bouchard serait chef de division à l’Intérieur avant six mois ! Le petit d’Escorailles, l’enfant gâté de Rougon, devait mettre la nomination sous la serviette de monsieur Bouchard, le jour de la fête de madame… Tiens ! où sont-ils donc, le petit d’Escorailles et la jolie madame Bouchard ?

Ces messieurs les cherchèrent. Enfin ils les découvrirent au fond de la tribune, dont ils occupaient le premier banc, à l’ouverture de la séance. Ils s’étaient réfugiés là,