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LES ROUGON-MACQUART.

qui tombent du ciel, elle qui a trouvé un enfant dans sa boutique à poissons.

Elles se regardèrent en riant toutes les trois. Puis, lorsque madame Lecœur se fut éloignée à son tour :

— Ma tante a tort de s’occuper de ces histoires, ça la maigrit, reprit la Sarriette. Elle me battait quand les hommes me regardaient. Allez, elle peut chercher, elle ne trouvera pas de mioche sous son traversin, ma tante.

Mademoiselle Saget eut un nouveau rire. Et quand elle fut seule, comme elle retournait rue Pirouette, elle pensa que « ces trois pécores » ne valaient pas la corde pour les pendre. D’ailleurs, on avait pu la voir, il serait très-mauvais de se brouiller avec les Quenu-Gradelle, des gens riches et estimés après tout. Elle fit un détour, alla rue Turbigo, à la boulangerie Taboureau, la plus belle boulangerie du quartier. Madame Taboureau, qui était une amie intime de Lisa, avait, sur toutes choses, une autorité incontestée. Quand on disait : « Madame Taboureau a dit ceci, madame Taboureau a dit cela, » il n’y avait plus qu’à s’incliner. La vieille demoiselle, sous prétexte, ce jour-là, de savoir à quelle heure le four était chaud, pour apporter un plat de poires, dit le plus grand bien de la charcutière, se répandit en éloges sur la propreté et sur l’excellence de son boudin. Puis, contente de cet alibi moral, enchantée d’avoir soufflé sur l’ardente bataille qu’elle flairait, sans s’être fâchée avec personne, elle rentra décidément, l’esprit plus libre, retournant cent fois dans sa mémoire l’image du cousin de madame Quenu.

Ce même jour, le soir, après le dîner, Florent sortit, se promena quelque temps, sous une des rues couvertes des Halles. Un fin brouillard montait, les pavillons vides avaient une tristesse grise, piquée des larmes jaunes du gaz. Pour la première fois, Florent se sentait importun ; il avait conscience de la façon malapprise dont il était tombé au milieu