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LE VENTRE DE PARIS.

soin de pénétrer dans l’existence des voisins, au point d’écouter aux portes et de décacheter les lettres. Sa langue était redoutée, de la rue Saint-Denis à la rue Jean-Jacques Rousseau, et de la rue Saint-Honoré à la rue Mauconseil. Tout le long du jour, elle s’en allait avec son cabas vide, sous le prétexte de faire des provisions, n’achetant rien, colportant des nouvelles, se tenant au courant des plus minces faits, arrivant ainsi à loger dans sa tête l’histoire complète des maisons, des étages, des gens du quartier. Quenu l’avait toujours accusée d’avoir ébruité la mort de l’oncle Gradelle sur la planche à hacher ; depuis ce temps, il lui tenait rancune. Elle était très-ferrée, d’ailleurs, sur l’oncle Gradelle et sur les Quenu ; elle les détaillait, les prenait par tous les bouts, les savait « par cœur. » Mais depuis une quinzaine de jours, l’arrivée de Florent la désorientait, la brûlait d’une véritable fièvre de curiosité. Elle tombait malade, quand il se produisait quelque trou imprévu dans ses notes. Et pourtant elle jurait qu’elle avait déjà vu ce grand escogriffe quelque part.

Elle resta devant le comptoir, regardant les plats, les uns après les autres, disant de sa voix fluette :

— On ne sait plus que manger. Quand l’après-midi arrive, je suis comme une âme en peine pour mon dîner… Puis, je n’ai envie de rien… Est-ce qu’il vous reste des côtelettes panées, madame Quenu ?

Sans attendre la réponse, elle souleva un des couvercles de l’étuve de melchior. C’était le côté des andouilles, de saucisses et des boudins. Le réchaud était froid, il n’y avait plus qu’une saucisse plate, oubliée sur la grille.

— Voyez de l’autre côté, mademoiselle Saget, dit la charcutière. Je crois qu’il reste une côtelette.

— Non, ça ne me dit pas, murmura la petite vieille, qui glissa toutefois son nez sous le second couvercle. J’avais un caprice, mais les côtelettes panées, le soir, c’est trop lourd…