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LES ROUGON-MACQUART.

— Te plais-tu chez monsieur Gavard ? Ce n’est pas un méchant homme, tu feras bien de le contenter.

— Oui, madame Lisa.

— Seulement, tu n’es pas raisonnable, je t’ai encore vu sur les toits des Halles, hier ; puis, tu fréquentes un tas de gueux et de gueuses. Te voilà homme, maintenant ; il faut pourtant que tu songes à l’avenir.

— Oui, madame Lisa.

Elle dut répondre à une dame qui venait commander une livre de côtelettes aux cornichons. Elle quitta le comptoir, alla devant le billot, au fond de la boutique. Là, avec un couteau mince, elle sépara trois côtelettes d’un carré de porc ; et, levant un couperet, de son poignet nu et solide, elle donna trois coups secs. Derrière, à chaque coup, sa robe de mérinos noir se levait légèrement ; tandis que les baleines de son corset marquaient sur l’étoffe tendue du corsage. Elle avait un grand sérieux, les lèvres pincées, les yeux clairs, ramassant les côtelettes et les pesant d’une main lente.

Quand la dame fut partie et qu’elle aperçut Marjolin ravi de lui avoir vu donner ces trois coups de couperet, si nets et si roides :

— Comment ! tu es encore là ? cria-t-elle.

Et il allait sortir de la boutique, lorsqu’elle le retint.

— Écoute, lui dit-elle, si je te revois encore avec ce petit torchon de Cadine… Ne dis pas non. Ce matin, vous étiez encore ensemble à la triperie, à regarder casser des têtes de mouton… Je ne comprends pas comment un bel homme comme toi puisse se plaire avec cette traînée, cette sauterelle… Allons, va, dis à monsieur Gavard qu’il vienne tout de suite, pendant qu’il n’y a personne.

Marjolin s’en alla confus, l’air désespéré, sans répondre.

La belle Lisa resta debout dans son comptoir, la tête un