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LE VENTRE DE PARIS.

médaillons symétriques. À terre, il y avait, comme dallage, des carreaux blancs et roses, alternés, avec une grecque rouge sombre pour bordure. Le quartier fut fier de sa charcuterie, personne ne songea plus à parler de la cuisine de la rue Pirouette, où il y avait eu un mort. Pendant un mois, les voisines s’arrêtèrent sur le trottoir, pour regarder Lisa, à travers les cervelas et les crépines de l’étalage. On s’émerveillait de sa chair blanche et rosée, autant que des marbres. Elle parut l’âme, la clarté vivante, l’idole saine et solide de la charcuterie ; et on ne la nomma plus que la belle Lisa.

À droite de la boutique, se trouvait la salle à manger, une pièce très-propre, avec un buffet, une table et des chaises cannées de chêne clair. La natte qui couvrait le parquet, le papier jaune tendre. La toile cirée imitant le chêne, la rendaient un peu froide, égayée seulement par les luisants d’une suspension de cuivre tombant du plafond, élargissant, au-dessus de la table, son grand abat-jour de porcelaine transparente. Une porte de la salle à manger donnait dans la vaste cuisine carrée. Et, au bout de celle-ci, il y avait une petite cour dallée, qui servait de débarras, encombrée de terrines, de tonneaux, d’ustensiles hors d’usage ; à gauche de la fontaine, les pots de fleurs fanées de l’étalage achevaient d’agoniser, le long de la gargouille où l’on jetait les eaux grasses.

Les affaires furent excellentes. Quenu, que les avances avaient épouvanté, éprouvait presque du respect pour sa femme, qui, selon lui, « était une forte tête. » Au bout de cinq ans, ils avaient près de quatre-vingt mille francs placés en bonnes rentes. Lisa expliquait qu’ils n’étaient pas ambitieux, qu’ils ne tenaient pas à entasser trop vite ; sans cela, elle aurait fait gagner à son mari « des mille et des cents, » en le poussant dans le commerce en gros des cochons. Ils étaient jeunes encore, ils avaient du temps devant