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LES ROUGON-MACQUART.

au milieu des hachis. Elle l’aidait parfois, elle tenait les boyaux de ses doigts potelés, pendant qu’il les bourrait de viandes et de lardons. Ou bien ils goûtaient ensemble la chair crue des saucisses, du bout de la langue, pour voir si elle était convenablement épicée. Elle était de bon conseil, connaissait des recettes du Midi, qu’il expérimenta avec succès. Souvent, il la sentait derrière son épaule, regardant au fond des marmites, s’approchant si près, qu’il avait sa forte gorge dans le dos. Elle lui passait une cuiller, un plat. Le grand feu leur mettait le sang sous la peau. Lui, pour rien au monde, n’aurait cessé de tourner les bouillies grasses qui s’épaississaient sur le fourneau ; tandis que, toute grave, elle discutait le degré de cuisson. L’après-midi, lorsque la boutique se vidait, ils causaient tranquillement, pendant des heures. Elle restait dans son comptoir, un peu renversée, tricotant d’une façon douce et régulière. Il s’asseyait sur un billot, les jambes ballantes, tapant des talons contre le bloc de chêne. Et ils s’entendaient à merveille ; ils parlaient de tout, le plus ordinairement de cuisine, et puis de l’oncle Gradelle, et encore du quartier. Elle lui racontait des histoires comme à un enfant ; elle en savait de très-jolies, des légendes miraculeuses, pleines d’agneaux et de petits anges, qu’elle disait d’une voix flûtée, avec son grand air sérieux. Si quelque cliente entrait, pour ne pas se déranger, elle demandait au jeune homme le pot du saindoux ou la boîte des escargots. À onze heures, ils remontaient se coucher, lentement, comme la veille. Puis, en refermant leur porte, de leur voix calme :

— Bonsoir, mademoiselle Lisa.

— Bonsoir, monsieur Quenu.

Un matin, l’oncle Gradelle fut foudroyé par une attaque d’apoplexie, en préparant une galantine. Il tomba le nez sur la table à hacher. Lisa ne perdit pas son sang-froid. Elle dit qu’il ne fallait pas laisser le mort au beau milieu de la cui-