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LE VENTRE DE PARIS.

ment entre mademoiselle Saget et madame Léonce, qui les avaient regardées empocher l’or avec des piétinements de fièvre.

— Merci, gronda la portière, cinquante francs, pour l’avoir dorloté avec de la tisane et du bouillon ! Il disait qu’il n’avait pas de famille, ce vieil enjôleur.

Madame Lecœur, avant de fermer l’armoire, voulut la visiter de haut en bas. Elle contenait tous les livres politiques défendus à la frontière, les pamphlets de Bruxelles, les histoires scandaleuses des Bonaparte, les caricatures étrangères ridiculisant l’empereur. Un des grands régals de Gavard était de s’enfermer parfois avec un ami pour lui montrer ces choses compromettantes.

— Il m’a bien recommandé de brûler les papiers, fit remarquer la Sarriette.

— Bah ! nous n’avons pas de feu, ça serait trop long… Je flaire la police. Il faut déguerpir.

Et elles s’en allèrent toutes quatre. Elles n’étaient pas au bas de l’escalier, que la police se présenta. Madame Léonce dut remonter, pour accompagner ces messieurs. Les trois autres, serrant les épaules, se hâtèrent de gagner la rue. Elles marchaient vite, à la file, la tante et la nièce gênées par le poids de leurs poches pleines. La Sarriette qui allait la première se retourna, en remontant sur le trottoir de la rue Rambuteau, et dit avec son rire tendre :

— Ça me bat contre les cuisses.

Et madame Lecœur lâcha une obscénité, qui les amusa. Elles goûtaient une jouissance à sentir ce poids qui leur tirait les jupes, qui se pendait à elles comme des mains chaudes de caresses. Mademoiselle Saget avait gardé les cinquante francs dans son poing fermé. Elle restait sérieuse, bâtissait un plan pour tirer encore quelque chose de ces grosses poches qu’elle suivait. Comme elles se retrouvaient au coin de la poissonnerie :