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LES ROUGON-MACQUART.

— Bas les griffes ! ma petite, dit madame Lecœur d’une voix rauque.

Elle était plus jaune encore, dans le reflet de l’or, la face marbrée par la bile, les yeux brûlés par la maladie de foie qui la minait sourdement. Derrière elle, mademoiselle Saget se haussait sur la pointe des pieds, en extase, regardant jusqu’au fond de l’armoire. Madame Léonce, elle aussi, s’était levée, mâchant des paroles sourdes.

— Mon oncle m’a dit de tout prendre, reprit nettement la jeune femme.

— Et moi qui l’ai soigné, cet homme, je n’aurai rien, alors, s’écria la portière.

Madame Lecœur étouffait ; elle les repoussa, se cramponna à l’armoire, en bégayant :

— C’est mon bien, je suis sa plus proche parente, vous êtes des voleuses, entendez-vous… J’aimerais mieux tout jeter par la fenêtre.

Il y eut un silence, pendant lequel elles se regardèrent toutes les quatre avec des regards louches. Le foulard de la Sarriette s’était tout à fait dénoué ; elle montrait la gorge, adorable de vie, la bouche humide, les narines roses. Madame Lecœur s’assombrit encore en la voyant si belle de désir.

— Écoute, lui dit-elle d’une voix plus sourde, ne nous battons pas… Tu es sa nièce, je veux bien partager… Nous allons prendre une pile, chacune à notre tour.

Alors, elles écartèrent les deux autres. Ce fut la marchande de beurre qui commença. La pile disparut dans ses jupes. Puis, la Sarriette prit une pile également. Elles se surveillaient, prêtes à se donner des tapes sur les mains. Leurs doigts s’allongeaient régulièrement, des doigts horribles et noueux, des doigts blancs et d’une souplesse de soie. Elles s’emplirent les poches. Lorsqu’il ne resta plus qu’une pile, la jeune femme ne voulut pas que sa tante l’eût, puisque c’était elle qui avait commencé. Elle la partagea brusque-