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LE VENTRE DE PARIS.

elle lui murmura à l’oreille, par-dessus les viandes du comptoir :

— Eh bien ! on dit que monsieur Florent n’est pas votre cousin…

Et, petit à petit, elle montra qu’elle savait tout. Ce n’était qu’une façon de tenir Lisa à sa merci. Lorsque celle-ci confessa la vérité, par tactique également, pour avoir sous la main une personne qui la tînt au courant des bavardages du quartier, la vieille demoiselle jura qu’elle serait muette comme un poisson, qu’elle nierait la chose le cou sur le billot. Alors, elle jouit profondément de ce drame. Elle grossissait chaque jour les nouvelles inquiétantes.

— Vous devriez prendre vos précautions, murmurait-elle. J’ai encore entendu à la triperie deux femmes qui causaient de ce que vous savez. Je ne puis pas dire aux gens qu’ils en ont menti, vous comprenez. Je semblerais drôle… Ça court, ça court. On ne l’arrêtera plus. Il faudra que ça crève.

Quelques jours plus tard, elle donna enfin le véritable assaut. Elle arriva tout effarée, attendit avec des gestes d’impatience qu’il n’y eût personne dans la boutique, et la voix sifflante :

— Vous savez ce qu’on raconte… Ces hommes qui se réunissent chez monsieur Lebigre, eh bien ! ils ont tous des fusils, et ils attendent pour recommencer comme en 48. Si ce n’est pas malheureux de voir monsieur Gavard, un digne homme, celui-là, riche, bien posé, se mettre avec des gueux !… J’ai voulu vous avertir, à cause de votre beau-frère.

— C’est des bêtises, ce n’est pas sérieux, dit Lisa pour l’aiguillonner.

— Pas sérieux, merci ! Le soir, quand on passe rue Pirouette, on les entend qui poussent des cris affreux. Ils ne se gênent pas, allez. Vous vous rappelez bien qu’ils ont essayé de débaucher votre mari… Et les cartouches que je les