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LES ROUGON-MACQUART.

finissait par se fâcher. Un soir, en sortant d’une de ces froides réunions de famille, il dit à sa femme, presque en pleurant :

— Mais qu’est-ce que j’ai donc ! Bien vrai, je ne suis pas malade, tu ne me trouves pas changé ?… C’est comme si j’avais un poids quelque part. Et triste avec ça, sans savoir pourquoi, ma parole d’honneur… Tu ne sais pas, toi ?

— Une mauvaise disposition, sans doute, répondit Lisa.

— Non, non, ça dure depuis trop longtemps, ça m’étouffe… Pourtant, nos affaires ne vont pas mal, je n’ai pas de gros chagrin, je vais mon train-train habituel… Et toi aussi, ma bonne, tu n’es pas bien, tu sembles prise de tristesse… Si ça continue, je ferai venir le médecin.

La belle charcutière le regardait gravement.

— Il n’y a pas besoin de médecin, dit-elle. Ça passera… Vois-tu, c’est un mauvais air qui souffle en ce moment. Tout le monde est malade dans le quartier…

Puis, comme cédant à une tristesse maternelle :

— Ne t’inquiète pas, mon gros… Je ne veux pas que tu tombes malade. Ce serait le comble.

Elle le renvoyait d’ordinaire à la cuisine, sachant que le bruit des hachoirs, la chanson des graisses, le tapage des marmites, l’égayaient. D’ailleurs, elle évitait ainsi les indiscrétions de mademoiselle Saget, qui, maintenant, passait les matinées entières à la charcuterie. La vieille avait pris à tâche d’épouvanter Lisa, de la pousser à quelque résolution extrême. D’abord, elle obtint ses confidences.

— Ah ! qu’il y a de méchantes gens ! dit-elle, des gens qui feraient bien mieux de s’occuper de leurs propres affaires… Si vous saviez, ma chère madame Quenu… Non, jamais je n’oserai vous répéter cela.

Comme la charcutière lui affirmait que ça ne pouvait pas la toucher, qu’elle était au-dessus des mauvaises langues,