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LE VENTRE DE PARIS.

Cependant, l’homme avait ouvert les yeux. Il regardait madame François d’un air effaré, sans bouger. Elle pensa qu’il devait être ivre, en effet.

— Il ne faut pas rester là, vous allez vous faire écraser, lui dit-elle… Où alliez-vous ?

— Je ne sais pas…, répondit-il d’une voix très-basse.

Puis, avec effort, et le regard inquiet :

— J’allais à Paris, je suis tombé, je ne sais pas…

Elle le voyait mieux, et il était lamentable, avec son pantalon noir, sa redingote noire, tout effiloqués, montrant les sécheresses des os. Sa casquette, de gros drap noir, rabattue peureusement sur les sourcils, découvrait deux grands yeux bruns, d’une singulière douceur, dans un visage dur et tourmenté. Madame François pensa qu’il était vraiment trop maigre pour avoir bu.

— Et où alliez-vous, dans Paris ? demanda-t-elle de nouveau.

Il ne répondit pas tout de suite ; cet interrogatoire le gênait. Il parut se consulter ; puis, en hésitant :

— Par là, du côté des Halles.

Il s’était mis debout, avec des peines infinies, et il faisait mine de vouloir continuer son chemin. La maraîchère le vit qui s’appuyait en chancelant sur le brancard de la voiture.

— Vous êtes las ?

— Oui, bien las, murmura-t-il.

Alors, elle prit une voix brusque et comme mécontente. Elle le poussa, en disant :

— Allons, vite, montez dans ma voiture ! Vous nous faites perdre un temps, là !… Je vais aux Halles, je vous déballerai avec mes légumes.

Et, comme il refusait, elle le hissa presque, de ses gros bras, le jeta sur les carottes et les navets, tout à fait fâchée, criant :

— À la fin, voulez-vous nous ficher la paix ! Vous m’em-