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LES ROUGON-MACQUART.


Elle venait de refuser nettement la main de monsieur Lebigre, qui avait tenté une démarche officielle. Depuis deux mois, tous les dimanches, il donnait aux Méhudin une bouteille de liqueur. C’était Rose qui apportait la bouteille, de son air soumis. Elle se trouvait toujours chargée d’un compliment pour la Normande, d’une phrase aimable qu’elle répétait fidèlement, sans paraître le moins du monde ennuyée de cette étrange commission. Quand monsieur Lebigre se vit congédié, pour montrer qu’il n’était pas fâché, et qu’il gardait de l’espoir, il envoya Rose, le dimanche suivant, avec deux bouteilles de champagne et un gros bouquet. Ce fut justement à la belle poissonnière qu’elle remit le tout, en récitant d’une haleine ce madrigal de marchand de vin :

— Monsieur Lebigre vous prie de boire ceci à sa santé qui a été beaucoup ébranlée par ce que vous savez. Il espère que vous voudrez bien un jour le guérir, en étant pour lui aussi belle et aussi bonne que ces fleurs.

La Normande s’amusa de la mine ravie de la servante. Elle l’embarrassa en lui parlant de son maître, qui était très-exigeant, disait-on. Elle lui demanda si elle l’aimait beaucoup, s’il portait des bretelles, s’il ronflait la nuit. Puis, elle lui fit remporter le champagne et le bouquet.

— Dites à monsieur Lebigre qu’il ne vous renvoie plus… Vous êtes trop bonne, ma petite. Ça m’irrite de vous voir si douce, avec vos bouteilles sous vos bras. Vous ne pouvez donc pas le griffer, votre monsieur ?

— Dame ! il veut que je vienne, répondit Rose en s’en allant. Vous avez tort de lui faire de la peine, vous… Il est bien bel homme.

La Normande était conquise par le caractère tendre de Florent. Elle continuait à suivre les leçons de Muche, le soir, sous la lampe, rêvant qu’elle épousait ce garçon si bon pour les enfants ; elle gardait son banc de poissonnière, il