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LES ROUGON-MACQUART.

molles des pâtes cuites, du gruyère et du hollande, jusqu’aux pointes alcalines de l’olivet. Il y avait des ronflements sourds du cantal, du chester, des fromages de chèvre, pareils à un chant large de basse, sur lesquels se détachaient, en notes piquées, les petites fumées brusques des neufchâtel, des troyes et des mont-d’or. Puis les odeurs s’effaraient, roulaient les unes sur les autres, s’épaississaient des bouffées du port-salut, du limbourg, du géromé, du marolles, du livarot, du pont-l’évêque, peu à peu confondues, épanouies en une seule explosion de puanteurs. Cela s’épandait, se soutenait, au milieu du vibrement général, n’ayant plus de parfums distincts, d’un vertige continu de nausée et d’une force terrible d’asphyxie. Cependant, il semblait que c’étaient les paroles mauvaises de madame Lecœur et de mademoiselle Saget qui puaient si fort.

— Je vous remercie bien, dit la marchande de beurre. Allez ! si je suis jamais riche, je vous récompenserai.

Mais la vieille ne s’en allait pas. Elle prit un bondon, le retourna, le remit sur la table de marbre. Puis, elle demanda combien ça coûtait.

— Pour moi ? ajouta-t-elle avec un sourire.

— Pour vous, rien, répondit madame Lecœur. Je vous le donne.

Et elle répéta :

— Ah ! si j’étais riche !

Alors, mademoiselle Saget lui dit que ça viendrait un jour. Le bondon avait déjà disparu dans le cabas. La marchande de beurre redescendit à la cave, tandis que la vieille demoiselle reconduisait la Sarriette jusqu’à sa boutique. Là, elles causèrent un instant de monsieur Jules. Les fruits, autour d’elles, avaient leur odeur fraîche de printemps.

— Ça sent meilleur chez vous que chez votre tante, dit la vieille. J’en avais mal au cœur, tout à l’heure. Comment fait-