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LES ROUGON-MACQUART.

avons pris le café, hier… Je l’ai trouvée très-peinée. Il paraît que monsieur Gavard ne rentre plus avant une heure. Dimanche, elle lui a monté du bouillon, parce qu’elle lui avait vu le visage tout à l’envers.

— Elle sait bien ce qu’elle fait, allez, dit madame Lecœur, que ces soins de la concierge inquiétaient.

Mademoiselle Saget crut devoir défendre son amie.

— Pas du tout, vous vous trompez… Madame Léonce est au-dessus de sa position. C’est une femme très comme il faut… Ah bien ! si elle voulait s’emplir les mains, chez monsieur Gavard, il y a longtemps qu’elle n’aurait eu qu’à se baisser. Il paraît qu’il laisse tout traîner… C’est justement à propos de cela que je veux vous parler. Mais, silence, n’est-ce pas ? Je vous dis ça sous le sceau du secret.

Elles jurèrent leurs grands dieux qu’elles seraient muettes. Elles avançaient le cou. Alors l’autre, solennellement :

— Vous saurez donc que monsieur Gavard est tout chose depuis quelque temps… Il a acheté des armes, un grand pistolet qui tourne, vous savez. Madame Léonce dit que c’est une horreur, que ce pistolet est toujours sur la cheminée ou sur la table, et qu’elle n’ose plus essuyer… Et ce n’est rien encore. Son argent…

— Son argent, répéta madame Lecœur, dont les joues brûlaient.

— Eh bien, il n’a plus d’actions, il a tout vendu, il a maintenant dans une armoire un tas d’or…

— Un tas d’or, dit la Sarriette ravie.

— Oui, un gros tas d’or. Il y en a plein sur une planche. Ça éblouit. Madame Léonce m’a raconté qu’il avait ouvert l’armoire un matin devant elle, et que ça lui a fait mal aux yeux, tant ça brillait.

Il y eut un nouveau silence. Les paupières des trois femmes battaient, comme si elles avaient vu le tas d’or. La Sarriette se mit à rire la première, en murmurant :