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LES ROUGON-MACQUART.

solaient d’épargner la belle Lisa, en comptant sur quelque épouvantable catastrophe amenée par Florent. Évidemment, il avait de mauvais desseins ; ces gens-là ne s’échappent que pour mettre le feu partout ; puis, un homme pareil ne pouvait être entré aux Halles sans « manigancer quelque coup. » Alors, ce furent des suppositions prodigieuses. Les deux marchandes déclarèrent qu’elles allaient ajouter un cadenas à leur resserre ; même la Sarriette se rappela que, l’autre semaine, on lui avait volé un panier de pêches. Mais mademoiselle Saget les terrifia, en leur apprenant que les « rouges » ne procédaient pas comme cela ; ils se moquaient bien d’un panier de pêches ; ils se mettaient à deux ou trois cents pour tuer tout le monde, piller à leur aise. Ça, c’était de la politique, disait-elle avec la supériorité d’une personne instruite. Madame Lecœur en fut malade ; elle voyait les Halles flamber, une nuit que Florent et ses complices se seraient cachés au fond des caves, pour s’élancer de là sur Paris.

— Eh ! j’y songe, dit tout à coup la vieille, il y a l’héritage du vieux Gradelle… Tiens ! tiens ! Ce sont les Quenu qui ne doivent pas rire.

Elle était toute réjouie. Les commérages tournèrent. On tomba sur les Quenu, quand elle eut raconté l’histoire du trésor dans le saloir, qu’elle savait jusqu’aux plus minces détails. Elle disait même le chiffre de quatre-vingt-cinq mille francs, sans que Lisa ni son mari se rappelassent l’avoir confié à âme qui vive. N’importe, les Quenu n’avaient pas donné sa part « au grand maigre. » Il était trop mal habillé pour ça. Peut-être qu’il ne connaissait seulement pas l’histoire du saloir. Tous voleurs, ces gens-là. Puis, elles rapprochèrent leurs têtes, baissant la voix, décidant qu’il serait peut-être dangereux de s’attaquer à la belle Lisa, mais qu’il fallait « faire son affaire au rouge, » pour qu’il ne mangeât plus l’argent de ce pauvre monsieur Gavard.