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LE VENTRE DE PARIS.

tandis que, dans l’allée, la marmaille se roule, traîne des voitures sans roues, emplit des seaux de sable, pleure et se mord, une marmaille terrible, déguenillée, mal mouchée, qui pullule au soleil comme une vermine. Mademoiselle Saget était si mince, qu’elle trouvait toujours à se glisser sur un banc. Elle écoutait, elle entamait la conversation avec une voisine, quelque femme d’ouvrier toute jaune, raccommodant du linge, tirant d’un petit panier, réparé avec des ficelles, des mouchoirs et des bas troués comme des cribles. D’ailleurs, elle avait des connaissances. Au milieu des piaillements intolérables de la marmaille et du roulement continu des voitures, derrière, dans la rue Saint-Denis, c’étaient des cancans sans fin, des histoires sur les fournisseurs, les épiciers, les boulangers, les bouchers, toute une gazette du quartier, enfiélée par les refus de crédit et l’envie sourde du pauvre. Elle apprenait, surtout, parmi ces malheureuses, les choses inavouables, ce qui descendait des garnis louches, ce qui sortait des loges noires des concierges, les saletés de la médisance, dont elle relevait, comme d’une pointe de piment, ses appétits de curiosité. Puis, devant elle, la face tournée du côté des Halles, elle avait la place, les trois pans de maisons, percées de leurs fenêtres, dans lesquelles elle cherchait à entrer du regard ; elle semblait se hausser, aller le long des étages, ainsi qu’à des trous de verre, jusqu’aux œils-de-bœuf des mansardes ; elle dévisageait les rideaux, reconstruisait un drame sur la simple apparition d’une tête entre deux persiennes, avait fini par savoir l’histoire des locataires de toutes ces maisons, rien qu’à en regarder les façades. Le restaurant Baratte l’intéressait d’une façon particulière, avec sa boutique de marchand de vin, sa marquise découpée et dorée, formant terrasse, laissant déborder la verdure de quelques pots de fleurs, ses quatre étages étroits, ornés et peinturlurés ; elle se plaisait au fond bleu tendre, aux colonnes jaunes, à la stèle surmontée d’une co-