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LES ROUGON-MACQUART.

quait doucement, miette par miette, ravie, mouillant son doigt, pour avoir la poussière trop fine ; si bien que cela fondait les bonbons, et que deux taches brunes marquaient déjà les deux poches du tablier. Muche avait un rire sournois. Il la tenait par la taille, la chiffonnant à son aise, lui faisant tourner le coin de la rue Pierre-Lescot, du côté de la place des Innocents, en lui disant :

— Hein ? Tu veux bien jouer, maintenant ?… C’est bon, ce que tu as dans tes poches. Tu vois que je ne voulais pas te faire de mal, grande bête.

Et lui-même, il fourrait les doigts au fond des poches. Ils entrèrent dans le square. C’était là sans doute que le petit Muche rêvait de conduire sa conquête. Il lui fit les honneurs du square, comme d’un domaine à lui, très-agréable, où il galopinait pendant des après-midi entières. Jamais Pauline n’était allée si loin ; elle aurait sanglotté comme une demoiselle enlevée, si elle n’avait pas eu du sucre dans les poches. La fontaine, au milieu de la pelouse coupée de corbeilles, coulait, avec la déchirure de ses nappes ; et les nymphes de Jean Gonjeon, toutes blanches dans le gris de la pierre, penchant leurs urnes, mettaient leur grâce nue, au milieu de l’air noir du quartier Saint-Denis. Les enfants firent le tour, regardant l’eau tomber des six bassins, intéressés par l’herbe, rêvant certainement de traverser la pelouse centrale, ou de se glisser sous les massifs de houx et de rhododendrons, dans la plate-bande longeant la grille du square. Cependant le petit Muche, qui était parvenu à froisser la belle robe, par derrière, dit, avec son rire en dessous :

— Nous allons jouer à nous jeter du sable, veux-tu ?

Pauline était séduite. Ils se jetèrent du sable, en fermant les yeux. Le sable entrait par le corsage décolleté de la petite, coulait tout le long, jusque dans ses bas et ses bottines. Muche s’amusait beaucoup, à voir le tablier blanc