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LES ROUGON-MACQUART.


Aux Champs-Élysées, comme le peintre n’apercevait plus des deux côtés que des têtes d’arbres, avec la grande masse verte du jardin des Tuileries, au fond, il eut un réveil, il se mit à parler, tout seul. En passant devant la rue du Roule, il avait regardé ce portail latéral de Saint-Eustache, qu’on voit de loin, par-dessous le hangar géant d’une rue couverte des Halles. Il y revenait sans cesse, voulait y trouver un symbole.

— C’est une curieuse rencontre, disait-il, ce bout d’église encadré sous cette avenue de fonte… Ceci tuera cela, le fer tuera la pierre, et les temps sont proches… Est-ce que vous croyez au hasard, vous, Florent ? Je m’imagine que le besoin de l’alignement n’a pas seul mis de cette façon une rosace de Saint-Eustache au beau milieu des Halles centrales. Voyez-vous, il y a là tout un manifeste : c’est l’art moderne, le réalisme, le naturalisme, comme vous voudrez l’appeler, qui a grandi en face de l’art ancien… Vous n’êtes pas de cet avis ?

Florent gardant le silence, il continua :

— Cette église est d’une architecture bâtarde, d’ailleurs ; le moyen âge y agonise, et la renaissance y balbutie… Avez-vous remarqué quelles églises on nous bâtit aujourd’hui ? Ça ressemble à tout ce qu’on veut, à des Bibliothèques, à des Observatoires, à des Pigeonniers, à des Casernes ; mais, sûrement, personne n’est convaincu que le bon Dieu demeure là-dedans. Les maçons du bon Dieu sont morts, la grande sagesse serait de ne plus construire ces laides carcasses de pierre, où nous n’avons personne à loger… Depuis le commencement du siècle, on n’a bâti qu’un seul monument original, un monument qui ne soit copié nulle part, qui ait poussé naturellement dans le sol de l’époque ; et ce sont les Halles centrales, entendez-vous, Florent, une œuvre crâne, allez, et qui n’est encore qu’une révélation timide du vingtième siècle… C’est pourquoi Saint-Eustache est enfoncé,