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LES ROUGON-MACQUART.

rienne, qui se moquait avec une effronterie rare, disant qu’elle avait veillé « pour voir s’il poussait des cornes à la lune. » Lui, vagabondait ; les nuits où Cadine le laissait seul, il restait avec le planton des forts de garde dans les pavillons ; il dormait sur des sacs, sur des caisses, au fond du premier coin venu. Ils en vinrent tous deux à ne plus quitter les Halles. Ce fut leur volière, leur étable, la mangeoire colossale où ils dormaient, s’aimaient, vivaient, sur un lit immense de viandes, de beurres et de légumes.

Mais ils eurent toujours une amitié particulière pour les grands paniers de plumes. Ils revenaient là, les nuits de tendresse. Les plumes n’étaient pas triées. Il y avait de longues plumes noires de dinde et des plumes d’oie, blanches et lisses, qui les chatouillaient aux oreilles, quand ils se retournaient ; puis, c’était du duvet de canard, où ils s’enfonçaient comme dans de l’ouate, des plumes légères de poules, dorées, bigarrées, dont ils faisaient monter un vol à chaque souffle, pareil à un vol de mouches ronflant au soleil. En hiver, ils couchaient aussi dans la pourpre des faisans, dans la cendre grise des alouettes, dans la soie mouchetée des perdrix, des cailles et des grives. Les plumes étaient vivantes encore, tièdes d’odeur. Elles mettaient des frissons d’ailes, des chaleurs de nid, entre leurs lèvres. Elles leur semblaient un large dos d’oiseau, sur lequel ils s’allongeaient, et qui les emportait, pâmés aux bras l’un de l’autre. Le matin, Marjolin cherchait Cadine, perdue au fond du panier, comme s’il avait neigé sur elle. Elle se levait ébouriffée, se secouait, sortait d’un nuage, avec son chignon où restait toujours planté quelque panache de coq.

Ils trouvèrent un autre lieu de délices, dans le pavillon de la vente en gros des beurres, des œufs et des fromages. Il s’entasse là, chaque matin, des murs énormes de paniers vides. Tous deux se glissaient, trouaient ce mur, se creusaient une cachette. Puis, quand ils avaient pratiqué une chambre