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LES ROUGON-MACQUART.

mainville ? C’est tout à fait ça, là surtout dans ta manche… Ne change plus. Tu sens trop bon.

Elle ne changea plus. Ce fut son dernier métier. Mais les deux enfants grandissaient, souvent elle oubliait son éventaire pour courir le quartier. La construction des Halles centrales fut pour eux un continuel sujet d’escapades. Ils pénétraient au beau milieu des chantiers, par quelque fente des clôtures de planches ; ils descendaient dans les fondations, grimpaient aux premières colonnes de fonte. Ce fut alors qu’ils mirent un peu d’eux, de leurs jeux, de leurs batteries, dans chaque trou, dans chaque charpente. Les pavillons s’élevèrent sous leurs petites mains. De là vinrent les tendresses qu’ils eurent pour les grandes Halles, et les tendresses que les grandes Halles leur rendirent. Ils étaient familiers avec ce vaisseau gigantesque, en vieux amis qui en avaient vu poser les moindres boulons. Ils n’avaient pas peur du monstre, tapaient de leur poing maigre sur son énormité, le traitaient en bon enfant, en camarade avec lequel on ne se gêne pas. Et les Halles semblaient sourire de ces deux gamins qui étaient la chanson libre, l’idylle effrontée de leur ventre géant.

Cadine et Marjolin ne couchaient plus ensemble, chez la mère Chantemesse, dans la voiture de marchand des quatre-saisons. La vieille, qui les entendait toujours bavarder la nuit, fit un lit à part pour le petit, par terre, devant l’armoire ; mais, le lendemain matin, elle le retrouva au cou de la petite sous la même couverture. Alors elle le coucha chez une voisine. Cela rendit les enfants très-malheureux. Dans le jour, quand la mère Chantemesse n’était pas là, ils se prenaient tout habillés entre les bras l’un de l’autre, ils s’allongeaient sur le carreau, comme sur un lit ; et cela les amusait beaucoup. Plus tard, ils polissonnèrent, ils cherchèrent les coins noirs de la chambre, ils se cachèrent plus souvent au fond des magasins de la rue au Lard, derrière les tas de