Page:Emile Zola - Le Ventre de Paris.djvu/170

Cette page a été validée par deux contributeurs.
170
LES ROUGON-MACQUART.

— Voyez donc, Augustine, cette créature qui nous dévisage, là-bas. Elle est toute déformée, avec la vie qu’elle mène… Est-ce que vous apercevez ses boucles d’oreilles ? Je crois qu’elle a ses grandes poires, n’est-ce pas ? Ça fait pitié, des brillants, à des filles comme ça.

— Pour ce que ça lui coûte ! répondait complaisamment Augustine.

Quand l’une d’elles avait un bijou nouveau, c’était une victoire ; l’autre crevait de dépit. Toute la matinée, elles se jalousaient leurs clients, se montraient très-maussades, si elles s’imaginaient que la vente allait mieux chez « la grande bringue d’en face. » Puis, venait l’espionnage du déjeuner ; elles savaient ce qu’elles mangeaient, épiaient jusqu’à leur digestion. L’après-midi, assises l’une dans ses viandes cuites, l’autre dans ses poissons, elles posaient, faisaient les belles, se donnaient un mal infini. C’était l’heure qui décidait du succès de la journée. La belle Normande brodait, choisissait des travaux d’aiguille très-délicats, ce qui exaspérait la belle Lisa.

— Elle ferait mieux, disait-elle, de raccommoder les bas de son garçon, qui va nu-pieds… Voyez-vous cette demoiselle, avec ses mains rouges puant le poisson !

Elle, tricotait, d’ordinaire.

— Elle en est toujours à la même chaussette, remarquait l’autre ; elle dort sur l’ouvrage, elle mange trop… Si son cocu attend ça pour avoir chaud aux pieds !

Jusqu’au soir, elles restaient implacables, commentant chaque visite, l’œil si prompt, qu’elles saisissaient les plus minces détails de leur personne, lorsque d’autres femmes, à cette distance, déclaraient ne rien apercevoir du tout. Mademoiselle Saget fut dans l’admiration des bons yeux de madame Quenu, un jour que celle-ci distingua une égratignure sur la joue gauche de la poissonnière. — Avec des yeux comme ça, disait-elle, on verrait à travers les portes. La